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Ephèm'arts
29 mars 2014

2014 ★ Gerontophilia, de Bruce LaBruce

 

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Mon vieux

       Gerontophilia. Rien que le titre fait frémir. On s'imagine déjà un grand film sur le sujet, une sorte de dérivé effrayant de Nymphomaniac, mais avec des vieux. Quand on apprend en plus que Bruce LaBruce, icône gay du cinéma pornographique, est aux commandes, il y a de quoi faire un malaise. Pourtant, notre curiosité est piquée au vif et notre côté sadique nous pousse jusque dans la salle, devant un écran où tout peut arriver. Lorsque le générique commence, nous nous trémoussons sur notre siège, un peu gênés d'être arrivés jusque là, mais éminemment avides d'un peu de passion glauque à insufler dans nos tristes existences.

       Heureusement, les quarante premières minutes de Gerontophilia viennent assouvir ce désir malsain qui réside en chacun de nous. Nous y rencontrons Lake, un adolescent ordinaire qui se découvre une attirance étrange pour des hommes très âgés. Lorsque sa mère lui propose un job au service gériatrique de l'hôpital où elle travaille, le jeune homme y voit la porte d'entrée d'un coin de paradis, où il pourra goûter au fruit défendu comme bon lui semble. Par une sublime inversion des canons de beauté, LaBruce parvient à rendre fascinants et divins des corps ridés et décrépis, alors qu'un simple baiser entre Lake et sa petite amie se transforme en véritable cauchemar. Le bruit immonde des bouches qui s'entresucent vient parfaitement s'opposer à une scène merveilleuse, presque étourdissante, où Lake savonne un vieillard avec tendresse. L'acte trivial atteint une sensualité absolue tandis que le contact a priori érotique devient disgracieux.

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       Une aura charnelle et euphorique entoure Lake et sa découverte de ce qui, pour lui, n'est qu'un simple fétichisme. Pour nous, cette attirance paraît tout à fait normale, en tout cas bien plus naturelle que sa relation avec la fantaisiste Désirée. LaBruce ne s'embrouille pas dans une psychanalyse à deux balles et nous lance même des clins d'oeil, douteux mais hilarants, notamment lorsque l'on découvre l'immense photo de Gandhi au-dessus du lit de Lake. Le cinéaste s'amuse à détourner les codes de la représentation du désir et malmène avec humour notre imaginaire collectif. Comment ne pas penser, lorsque Lake dessine de façon passionnelle un vieil homme nu, à cette scène culte de Titanic où Kate Winslet se fait croquer par un DiCaprio prêt à lui sauter dessus ?

      Mais trop porté par cette référence sentimentale, LaBruce semble malheureusement se complaire dans un romantisme qui n'a pas lieu d'être. La beauté sensuelle des corps bascule soudainement dans une histoire d'amour trop classique. Lake s'éprend de Melvyn, âgé de quatre-vingt-deux ans, et l'embarque dans une virée à travers le Canada. De façon surréaliste, le vieil homme se fait draguer par tout ce qui bouge, ce qui amène le garçon à piquer des crises de jalousie impromptues. L'amour ne s'explique pas, certes, mais on aurait bien aimé comprendre. Le film se transforme alors en simple bluette adolescente et abandonne toutes ses chances d'atteindre la densité de La Vie d'Adèle ou de Laurence Anyways.

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       LaBruce n'est pas Kéchiche ni Dolan, encore moins Lars Von Trier. Il n'a pas su nous livrer une tranche de vie profonde, où la complexité des êtres se serait mêlée au tragique d'une existence contrariée. L'heure et quart passe à une vitesse folle, l'histoire ne prend pas le temps de se raconter, la tragédie finale est trop rapidement expédiée. Nous aurions pourtant aimé rester plus longtemps aux côtés du jeune Pier-Gabriel Lajoie, les yeux scintillant de malice et la bouche aguicheuse, véritable gueule d'ange au charme diabolique. Mais LaBruce ne l'a pas entendu de cette oreille : il nous effleure du bout du doigt sans jamais vraiment nous toucher, nous carresse dans le sens du poil au lieu de nous sauter à la gorge. Au dernier plan, Lake nous fixe droit dans les yeux, un sourire aux lèvres. Nous lui renvoyons un regard interrogateur : "Pourquoi ? Pourquoi a-t-il fallu que tu tombes amoureux de ce vieux mec ? L'amour, toujours l'amour, mais le sexe alors ?”

       Nous sortons alors de la salle, repus d'un agréable souvenir visuel, mais avec l'étrange impression de n'avoir rien vécu d'essentiel. Comme si nous aussi, spectateurs vicieux, nous étions tombés amoureux de vieilles personnes l'espace d'un instant, mais que cette expérience n'était qu'une simple passade, une erreur de jeunesse dont on ne retiendra pas grand chose, sauf peut-être les chansons de pop-rock psychédélique qui nous auront accompagnés le long du chemin.

 

                                                                  GERONTOPHILIA+PHOTOSLIDE

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