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Ephèm'arts
13 mars 2014

2014 ★ The Grand Budapest Hotel, de Wes Anderson

 

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The Grand Anderson Movie

          Si Wes Anderson n'existait pas, il faudrait l'inventer. Depuis La Famille Tenenbaum, le réalisateur américain s'est imposé comme un artiste original aux univers décalés et colorés, mais souvent décrié comme un énergumène froid par les plus sceptiques d'entre nous. Après un passage remarqué à Cannes avec Moonrise Kingdom en 2012, Wes Anderson revient avec The Grand Budapest Hotel dans lequel il met en scène toute une flopée de personnages dans l'Europe de l'Est des années 1930. Casting de rêve, humour ultra-référencé et histoire bien menée à l'appui, Wes Anderson signe son film le plus ambitieux. De quoi mettre tout le monde d'accord.

          Le coquet et volubile Gustave, interprété par un Ralph Fiennes tout en élégance britannique, est un modeste concierge d'un hôtel prestigieux. Accompagné de son lobby-boy nommé Zéro, incarné par un Tony Revolori discret, il s'embarque dans une aventure aux nombreux rebondissements. Les deux compères, quoiqu'opposés, se marient parfaitement et donnent au film un air de « bromance » touchant. Ce duo savoureux est accompagné d'une myriade d'autres personnages passagers aux apparitions ponctuelles : Tilda Swinton, sous les traits de la riche Madame D., n'a jamais été si splendide et hideuse à la fois, Willem Dafoe est rarement apparu si diaboliquement charismatique et il faudra attendre la fin du film pour voir se manifester un Owen Wilson attendu, figure majeure du cinéma d'Anderson depuis ses débuts. Toute la petite troupe s'embarque dans un ballet mécanique, orchestré par Mister Anderson himself, où chacun agit tel un pantin minutieux.

                                                           The-Grand-Budapest-Hotel_Cornelius-Creative-Lifestyle

          Participent de cette machine impeccable une symétrie parfaite et des couleurs kitsches bien connues au réalisateur. Tout en affichant un cinéma ultra-personnel, cela ne l'empêche pas d'exposer ses références et son amour du cinéma. Dans un Overlook édulcoré aux moquettes kubrickiennes, des marionnettes torturées à la Woody Allen se débattent dans les filets de la vie à la façon des comiques burlesques du cinéma muet. La grande mascarade andersonienne, non dénuée d'humour, bascule même vers un cinéma d'action inattendu. A l'heure où le numérique règne en maître sur le monde du cinéma, Anderson n'hésite pas à montrer la facticité de la maquette de l'hôtel ou à créer des courses poursuites enneigées en stop-motion. En passant avec aisance de la prise de vue réelle à l'animation, il opère même des prouesses techniques rarement vues au cinéma avec des zooms incroyablement rapides et réalistes.

           Le cinéaste s'autorise même quelques folies qui font entrer dans son cinéma une morbidité sanglante qu'on ne lui connaissait pas. Au détour d'une tête décapitée et de quelques doigts sectionnés, Anderson s'offre de petits moments horrifiques qui s'opposent parfaitement au flashy et à l'aseptisation de son esthétique. Ces minimes éléments sinistres sont portés par la musique du génial (et français) Alexandre Desplat, qui parvient à faire entrer les apparitions d'Adrien Brody dans un vampirisme fascinant. Cette introduction inespérée dans le cinéma de Wes Anderson lui permet de traiter des sujets profonds de l'héritage et de la mémoire.

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          Dans un monde en pleine mutation, les personnages (et Anderson lui-même) regrettent le temps d'une époque meilleure, un monde où l'Europe n'avait pas encore basculée dans la guerre et où l'amour était encore possible. Après une séquence en noir et blanc qui annonce "le début de la fin", l'hôtel de Monsieur Gustave se retrouve occupé par les ZZ, abréviation parodique pour désigner les soldats nazis. Si Anderson pouvait montrer un chat défenestré ou un crime violent dans une prison, il se montre plus pudique lorsqu'il s'agit de parler de la mort de ses personnages. La voix-off annonce la mort d'Agatha, la femme de Zéro, sur une dernière image d'elle en robe de mariée, et le décès de Gustave est passé sous silence dans une ellipse déchirante.

          Le thème de la transmission est alors au centre du récit d'Anderson. Lorsque Zéro rencontre son successeur au poste de lobby-boy dans un moment cocasse, celui-ci lui donne des conseils pour toujours rester discret. Le film se termine aussi sur l'image de cette jeune fille en train de lire la grande histoire de ces personnages loufoques. Le film le plus abouti de Wes Anderson s'achève donc sur une note mélancolique. Au sujet bien plus profond que celui de Moonrise Kingdom ou de ses précédents films, The Grand Budapest Hotel résonne comme l’œuvre testamentaire d'un cinéaste bien trop jeune pour ce genre de préoccupations. Cafardeux précoce ou visionnaire, ce qui est sûr c'est qu'Anderson connaît la recette d'un grand film : un récit symétrique comme les trois boules de la religieuse de chez Mendl, des personnages hauts en couleurs nappés de crème pâtissière et un petit goût sucré qui reste longtemps en bouche.

                                 wes18f-5-web

Alexandre Desplat - The New Lobby Boy 

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